S'arrêter, regarder, se mettre en chemin.

 

La Relève est aussi un lieu où l’on peut s’arrêter, se déposer, déposer son fardeau et se ressourcer. La notion de ressourcement comprend l’idée de source. Mais qu’est-ce qu’une source ? comme nous le rappelle PJ Labarrière, la source est à la fois lieu et acte. Elle est le lieu d’où coule l’eau et l’eau qui coule.

 

On peut boire de cette eau, s’en rassasier puis repartir tel un dromadaire repus dans le désert du train-train quotidien. Cette image n’a rien de péjoratif. Notre vie se tisse de ces petits gestes du quotidien : cuisiner, raconter des histoires, bercer un enfant, travailler, aimer. Le train-train quotidien n’est pas le métro-boulot-dodo, mais il le devient quand on s’y assèche.

 

Il est des jours où l’on a besoin de suspendre le temps, d’avancer à petits-pas vers la source, d’y plonger les mains afin d’amener cette eau-vive à nos lèvres et de la boire lentement. Ce n’est plus le corps qui s’hydrate, mais l’âme, notre vie psychique. Ici, l’eau nous ouvre à ce qui sourd en nous. Elle nous tend nos reflets et nos parts d’ombre. On connaît les pièges que nous tendent les sirènes. Apprendre à se voir sans colère, sans peur, sans jugement et sans complaisance n’est pas une mince affaire.

 

Pourtant ce n’est pas très difficile, il suffit de s’asseoir près de la source et de la laisser chanter. Son chant va éveiller en nous un contrechant. L’eau-vive a le pouvoir d’éveiller nos larmes. C’est dans la rencontre de ces deux eaux qu’on découvre que la source, que ce qui nous « source » est aussi en nous. C’est l’esprit qui est ici irrigué. Nous pouvons lever la tête et déployer nos ailes.  

 

Revenir à la source n’est pas se retourner. Il ne s’agit pas de revenir en arrière mais d’aller vers ce lieu où quelque chose « source » en moi à jamais et toujours pour la première fois.

 

Le projet de la Relève est d’accompagner chaque personne qui y vient vers sa source. Peut-être n’offre-t-elle, in fine, qu’une table de partage, peut-être n’est-elle qu’une auberge espagnole ? Mais de cette table qui est à la croisée des chemins, chacun peut repartir le pied léger vers l’horizon qui lui plaid. Rien n’est joué ! Ni dans un sens ni dans l’autre. Loin de tout enfermement dans un déterminisme identitaire, causal ou traumatique, par sa démarche, par sa méthodologie, la Relève témoigne simplement de la possibilité de poursuivre la route quel que soit ce que nous avons à vivre.

 

C’est en s’ouvrant à ce qui vient (évènement), à ce qui a eu lieu (trauma), à ceux qui viennent à nous (rencontre), et pour nous, plus précisément à Celui qui vient, que nous découvrons que nous avons la possibilité de faire nôtre ce qui nous advient, nous est advenu et nous transforme. Il ne s’agit toutefois pas d’ouvrir grand les portes de notre intériorité et de notre existence au point de se laisser envahir par ce qui nous advient, nous est advenu ou par celui qui vient. Il s’agit de « faire avec », de « faire sien », d’entrer dans un processus de transformation et de mutation. C’est alors que peuvent éclore de nouveaux possibles, au sens où ces nouveaux possibles n’étaient pas encore contenus en nous comme l’est un potentiel en germe. Nous découvrons alors que notre vie n’est pas un destin, mais que nous sommes destinés à vivre de et dans la vérité, de et dans la liberté et de et dans l’amour.

 

Ce chemin de rencontre qui nous interpelle, nous questionne et nous (re)met en route n’a rien de prescriptif. Il y va d’un appel et non d’un ordre, d’un élan de vie vers la vie et non d’un devoir-être. La possibilité de la relève relève d’une invitation qui est adressée personnellement à chaque personne. Chaque chemin est singulier même si sur chaque chemin ce sont les mêmes épreuves existentielles qui se jouent. Ce chemin est ainsi un vrai chemin d’humilité et de nudité.

 

Ce chemin de nudité est un chemin d’humanisation, un chemin de vie où on apprend le métier d’homme, car et on l’aura compris, ce détour par la rencontre est ce qui rend possible l’avènement d’un monde en commun et en partage, d’un monde qui nait de la différence loin du monde commun et anonyme qui nous enferme, selon les mots de Byung-Chul Han, dans l’enfer de l’identique au gré des idéologies totalitaires. 

 

 

 

 

 

 

 

« Tu as marché, marché, marché… Et, tu as trouvé la réflexion, parce qu’en marchant, tu t’es baigné dans la Vouivre, t’as respiré son haleine par toute la surface de ta peau et la plante de tes pieds. Tu t’es imbibé de l’esprit du monde ! Marcher… c’est le secret révélateur ! On ne peut pas asservir l’homme qui marche ! »

H. Vincenot, Les étoiles de Compostelle